Dernier jour pour « Les Mondes surréalistes d’Elsa Schiaparelli » ! 

Ce week- end encore l’oeuvre extraordinaire de Schiaparellli est mise à l’honneur par le Musée des Arts Décoratifs à Paris dans une scénographie immersive de Nathalie Crinière. Entre 6387 dessins, 272 costumes, accessoires de mode, peintures, sculptures, flacons, céramiques, affiches, photographies et une série de bijoux- symboles de la liberté, cette expo nous enivre en représentant tout un nouvel art de vivre proposé par Elsa et son milieu à partir des années ’20. Etalé sur 2 niveaux, le projet offre un parcours paradoxal de la mémoire de la couture vue comme incarnation de la modernité. 

Chaque gant, chaque robe, chaque boucle d’oreilles ou broderie personnifient cette rupture avec le traditionalisme, d’autant plus qu’ils s’inspirent de la pensée de Salvador Dali, Man Ray, Elsa Triolet, Marcel Vertès, Jean Cocteau, Bébé Bérard, Van Dongen, Horst, Cecil Beaton, Hoyningen- Huene, Alberto Giacometti, Jean- Michel Frank, Meret Oppenheim… mais aussi de Jean Dunand, figure artistique majeure de l’Art Déco  ou  encore d’Albert Lesage, le fameux créateur de l’atelier. Une galaxie d’artistes célèbres accompagne donc Schiaparelli directement ou indirectement dans son travail.

Elsa arrive à Paris en 1922 et se lance dans la mode après la rencontre avec Paul Poiret. En 1934 ses premiers parfums sont nés. En 1935, elle installe ses salons de couture au 21, place Vendôme avec la boutique « Schiap » au rez-de-chaussée du bâtiment. C’est aussi à ce moment là qu’elle donne une thématique à part à ses collections: « la Commedia dell’arte », « le cirque », « les signes du zodiaque », « le papillon » pour citer quelques- unes seulement.

Les mondes surréalistes n’oublient pas non plus celui des dernières années: l’héritage du style Schiaparelli est révélé par des silhouettes signées Christian Lacroix, Azzedine Alaïa, John Galliano et Yves Saint Laurent. En 2019 Daniel Roseberry est nommé à la direction artistique, ses projets faisant souvent référence au mouvement cher à Elsa. Ils constituent en même temps une fusion entre la technicité et l’expérimentation osée, une succession digne du courage créatif de la fondatrice.

 

Marcel Proust, Un roman parisien

Une pause tellement imméritée dans le cauchemar ukrainien, cette exposition « Proust » au Carnavalet inondé du soleil froid du dimanche matin. Un roman parisien, avec tout son milieu, tous ses personnages- clés, tous ses objets et tous ses faubourgs- phares. La toponymie d’une ville- reine définie dans les moindres détails, une foule de gens l’admire un air ébahi par cette multitude de sources. « Par exemple, le dimanche matin, l’avenue de l’Impératrice, à cinq heures, le tour du Lac; le jeudi, l’Eden- Théâtre; le vendredi, l’hippodrome… » Swann conseillait Odette de Crécy et toi, le visiteur, tu peux faire de même, tout en restant sur place, au musée.

Une marée humaine stagne autour d’une télé comme des fourmis prises dans le miel: ceux qui connaissaient Marcel personnellement racontent leurs souvenirs à l’écran. Quelqu’un ôte son masque de chaud, l’autre reste tellement longtemps devant une oeuvre que je perds l’espoir de pouvoir me rapprocher, je reviendrai plus tard. 

Des photos: Petit pâtissier au Luxembourg (1900-1906), femmes, dames, et enfants, la haute bourgeoisie à l’exposition universelle (1900). Des Tableaux. Claude Monet « Au Parc Monceau », Edmond Georges Grandjean donnant la « Vue des Champs- Elysées depuis la place de l’Etoile » (1878), « La Place de la Concorde » par Henri le Sidaner (1909) submergée de pluie, enfin l’inattendue « Vue de Delft » (1660- 1661) de Vermeer. Le salon parisien et les rendez- vous mondains: en fin observateur- entomologiste, Proust usa de son génie pour créer l’ambiance unique de la « Recherche du Temps Perdu » dont les premières éditions sont également présentées. Choquée par la réalité de l’écriture manuelle, la vérité même de petites corrections de texte, je les regarde minutieusement, le coeur battant.   

Un monde disparu vu à travers le monocle amplifiant avec zèle les subtilités de la société. Entre la comtesse de Greffulhe (1860-1952) et Anna de Noailles née Brancovan, entre la beauté de la capitale et l’horreur des bombardements allemands vue du balcon du Ritz en 1917: le pouvoir des choses. Des gants, des chapeaux. Une ombrelle. 

« Je portais les seules fleurs de la chambre: guirlande, sans pollen ni parfum, étalée de tout mon long sur la chaise longue. Le lit de repos des amis venus causer, le banc d’où l’on pouvait voir le Grand couché. Mon dossier est encore neuf, sans accroc, sans traces d’appui. Mais, regardez bien, là, vers le milieu, l’usure de ma toile devenue plus bleue de s’être frottée aux gens du Monde, venus du dehors, apporte- avec le parfum de la vie- un peu d’air pur » dit la Chaise longue* de Marcel.

Personne ni rien d’entre eux ne savait qu’ils finiraient un jour ici, utiles désormais uniquement aux yeux des étrangers venus des pays lointains.

« J’ai d’abord été un morceau de bambou, du bois, la peau d’une bête, du métal arraché à la terre. Unis les uns aux autres, nous sommes devenus ce sur quoi on s’appuie, ce qu’on brandit, avec quoi on heurte à une vitre, une porte. Je suis l’objet du dehors. En moi sont gravées les initiales des deux amis que l’écriture du livre a désunis. Je porte aussi, gravées en moi, les traces de la main, quand elle n’écrivait pas. D’une main à d’autres je suis passée et, suspendue au mur du musée, plus rien désormais ne me touche.» annonça la Canne* offerte à l’écrivain par Louis Joseph Suchet d’Albufera

Devant Carnavalet, je médite encore un petit peu quelques tulipes rouges au jardin singulièrement calme, tel le visage de Proust me regardant du haut d’une grande affiche. 

A visiter jusqu’au 10 avril 2022, attention à réserver votre place sur Internet  

*Dons Jacques Guérin, 1973